• Paul Valéry

    Paul Valéry

    Le parcours du poète et philosophe français Paul Valéry (1871-1945) est particulier. Influencé par Verlaine et Mallarmé, il écrit une centaine de poèmes symbolistes. Un bouleversement passionnel le fait renoncer à la poésie. Après vingt ans de silence, elle le rappelle. En quête d’idéal de poésie pure, il crée un langage dans le langage, une union intime entre parole et esprit, une magie poétique pour des poèmes refusant toute finalité.

     

    La fileuse

     

    Assise, la fileuse au bleu de la croisée

    Où le jardin mélodieux se dodeline ;

    Le rouet ancien qui ronfle l’a grisée.

     

    Lasse, ayant bu l’azur, de filer la câline

    Chevelure, à ses doigts si faibles évasive,

    Elle songe, et sa tête petite s’incline.

     

    Un arbuste et l’air pur font une source vive

    Qui, suspendue au jour, délicieuse arrose

    De ses pertes de fleurs le jardin de l’oisive.

     

    Une tige, où le vent vagabond se repose,

    Courbe le salut vain de sa grâce étoilée,

    Dédiant magnifique, au vieux rouet, sa rose.

     

    Mais la dormeuse file une laine isolée ;

    Mystérieusement l’ombre frêle se tresse

    Au fil de ses doigts longs et qui dorment, filée.

     

    Le songe se dévide avec une paresse

    Angélique, et sans cesse, au doux fuseau crédule,

    La chevelure ondule au gré de la caresse...

     

    Derrière tant de fleurs, l’azur se dissimule,

    Fileuse de feuillage et de lumière ceinte :

    Tout le ciel vert se meurt. Le dernier arbre brûle.

     

    Ta sœur, la grande rose où sourit une sainte,

    Parfume ton front vague au vent de son haleine

    Innocente, et tu crois languir... Tu es éteinte

     

    Au bleu de la croisée où tu filais la laine.

     

     

    Valéry, Paul


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