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Cette douceur hors saison poisse la peau .
Elle va.
Fruit trop mûr griffé de tendresses bleuies vers des moissons inaccessibles
Ultime guerre pour la femme d’automne
Tenir jusqu’aux premières gelées sur cet espace roux qui reste à traverser
Tombent les feuilles comme des étoiles mortes sous un ciel ensanglanté
La pluie n’a pas laissé de traces
le vent emporte les odeurs
les glands secs craquent sous les pas
Elle a serré sur son cou une écharpe de soie
Les tournesols humiliés courbent la tête sous le soleil indifférent
Les buissons désertés éclaircissent et se taisent
A fleur de terre la vie chancelle
les cailloux du temps lapident les rêves
Obstination du lierre qui masque les blessures
vrilles d’une ancienne prière
l’arbre se recueille.
Front penché. Debout au bord du champ
la femme ne sait pas comment traverser sa dernière saison.
L. L
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Au début y a rien
On ne voit rien
C’est un peu toujours pareil
On se lève c’est le jour
On se couche c’est la nuit
On ne voit rien
Ya rien qui change
Et pourtant
T’as toujours les cheveux frisés
Mais ils ont changé de couleur
T’as toujours les yeux bleus
Mais ils se cachent derrière des lunettes
T’as toujours le sourire d’avant
Mais quelques rides de maintenant
Tu dis toujours « ça va »
Mais tu courbes un peu le dos
T’as toujours du fricot pour les pignoux
Mais tu racasses moins vite
Tu parles d’hier comme autant de souvenirs
Mais aujourd’hui t’échappe
Quelque chose a changé
Une nouvelle saison s’installe sous un ciel qui brimasse
Peut-être s’appelle-t-elle « Automne »
R. B.
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Libres sont les oiseaux migrants
ils suivent les chemins du vent
ils ne se fient qu'à leur étoile
à leur soleil
à leurs courants
ils sont en bandes, ou solitaires
dorment aux branches des vieux chênes
dans les sapins ou sur les toits
ils vont là où est leur destin
retrouver leur nid de cigogne
ou leur famille d'hirondelles
tout un verger de pommes en fleurs
petits bois ou grande forêt
bord des étiers, roches des mers
ils y resteront tout le temps
le temps qu'il faut jusqu'à l'automne
repartiront avec le vent
un soir dans le soleil couchant
là bas derrière les barbelés
ou dans les camps
les enfants regardent étonnés
ces migrateurs
sans passeport
venus du nord ou du levant
qui suivent les chemins du temps
du temps qu'il fait vers le printemps
quand la nuit vient il faut dormir
les pieds mouillés le cœur serré
les yeux fermés
ils entendent comme un bruit d'ailes
leurs rêves deviennent des oiseaux
libres et joyeux dans le soleil
ils montent de plus en plus haut
loin au dessus des barbelés
là, il n'est jamais demandé
de montrer son laisser passer
H. D.
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C'est un lundi de mars. Le second jour du printemps. Une grisaille tempérée inocule au matin sa lumière particulière. Autrement dit, il pleut sur les jonquilles. Je me suis levé tôt dans notre chaos velouté, avec déjà la volonté de ne rien faire de plus. Disons d'en faire le moins possible. Rester à l'écart de la marche du monde. Laisser la télé éteinte. Faire tourner le même disque, Smoking, drinking / never thinking / of tomorrow. Ne pas aller voir plus loin que le bout de son nez. En rester là. Au bout de son nez. Aujourd'hui la parenthèse est possible. Dehors les gouttes font comme une deuxième salve de bourgeons aux branches nues des arbres. La terre brille. Quelque chose dit : D'accord, réessayons. Quelque chose dit : Tu n'as pas besoin de te souvenir. Pas aujourd'hui. Tu n'es pas obligé de repenser à ton enfance. Aux poils longs du tapis rouge du salon. Tu n'as pas à mesurer ce que tu as perdu. A te demander ce qui a cloché ni quand ça a cloché. À repenser aux absents. Le monde d'où tu viens n'a pas disparu. Regarde, tu te souviens encore des mains de ta grand-mère. De la terre labourée. Des chansons dans la voiture. De Winnie l'ourson. Regarde, tu as encore des rêves. Même tordu, tu as grandi dans leur ombre. Ils sont encore entiers. Debout. Tu récites des poèmes. Tu n'as pas fait de mal. Du moins pas tant que ça. Jean Rochefort n'est pas encore mort. Ne regarde pas devant. Ne regarde pas derrière. Reste là.
Thomas Vinau (écrit bien avant la mort de Jean Rochefort!)
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