Suis-je encore russe par le poète Boris Pasternak
si je suis ukrainien par le poète Tarass Chevtchenko
si je suis ukrainien par les poèmes qui naissent aujourd’hui
des cris de la guerre des larmes de la terre
toute la terre qui habite aujourd’hui sur la terre d’Ukraine ?
Combien de mots nous faudrait-il
pour nommer les crimes qui se font et nous défont
combien de mots nous faudrait-il pour ne pas les oublier
quand la langue se défait à chaque mort qu’ils font
combien de mots pour se souvenir de ce que fut la vie ?
Une vie
je l’imagine se lever le matin
prendre son petit déjeuner
peut-être regarder par la fenêtre
et voir le rouge des coquelicots dépasser des blés
peut-être regarder par les yeux
et y voir le bleu de ceux dont elle partage le petit déjeuner
puis le dîner puis le souper puis leur pays
leur liberté de 603 550 kilomètres carrés
Qui sont-ils ceux qui tirent en espérant d’abord
ne pas être tachés par le sang de ceux qu’ils tuent encore
et encore ?
Ils nous ressemblent
mais jusqu’à quel point
le point où l’être humain se sépare
sur la ligne de partage de l’homme
avec l’enfant
un enfant
une peluche à la main
une femme
sans son homme à la main
séparé de la main de son enfant.
Je suis encore russe
par le poète Boris Pasternak
et la neige dont il ne pouvait se passer
en suivant les traces que font ses mots dans la neige
je suis ukrainien
par le poète Tarass Chevtchenko
et le jaune de ses blés et le bleu de son ciel
le bleu de chez moi
la neige de chez lui.
Mais qui saigne.
Yvon Le Men