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Le poète et politicien français Léon-Gontran Damas (1912 – 1978) est cofondateur de la Négritude. Né en Guyane française, il rencontre Aimé Césaire et Léopold Senghor avec lesquels il publie la revue littéraire L’étudiant noir, tremplin de la Négritude, mouvement littéraire et idéologique rejetant la domination politique et sociale occidentale. Élu à l’Assemblée Nationale française, éditeur de Présence africaine, professeur à Georgetown et à Howard, sa poésie se distingue par sa franchise, son rythme staccato, son langage simple et ses images fortes.
Solde
J’ai l’impression d’être ridicule
dans leurs souliers
dans leurs smoking
dans leur plastron
dans leur faux-col
dans leur monocle
dans leur melon
J’ai l’impression d’être ridicule
avec mes orteils qui ne sont pas faits
pour transpirer du matin jusqu’au soir qui déshabille
avec l’emmaillotage qui m’affaiblit les membres
et enlève à mon corps sa beauté de cache-sexe
J’ai l’impression d’être ridicule
avec mon cou en cheminée d’usine
avec ces maux de tête qui cessent
chaque fois que je salue quelqu’un
J’ai l’impression d’être ridicule
dans leurs salons
dans leurs manières
dans leurs courbettes
dans leur multiple besoin de singeries
J’ai l’impression d’être ridicule
avec tout ce qu’ils racontent
jusqu’à ce qu’ils vous servent l’après-midi
un peu d’eau chaude
et des gâteaux enrhumés
J’ai l’impression d’être ridicule
avec les théories qu’ils assaisonnent
au goût de leurs besoins
de leurs passions
de leurs instincts ouverts la nuit
en forme de paillasson
J’ai l’impression d’être ridicule
parmi eux complice
parmi eux souteneur
parmi eux égorgeur
les mains effroyablement rouges
du sang de leur ci-vi-li-sa-tion
Damas, Léon-Gontran
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Auteure majeure de la poésie africaine contemporaine, Tanella Boni est née en 1954 à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Elle a poursuivi des études avancées en philosophie et en lettres en France avant d’entreprendre une œuvre poétique qui compte une dizaine de recueils. Sa poésie est portée par un humanisme rempli d’amour et de compassion, mais elle ne craint pas de dénoncer aussi les oppressions et les violences, commises en particulier contre les femmes.
Ici vit le Noir la peur au ventre
Cette peur sans cesse refoulée
Sans cesse remise en lumière
L’Amérique en moi
C’est une partie de ma peau
La rumeur la plus sourde
Me parvient ce soir-là
À deux pas
La rumeur la plus sourde
Qui me hante parfois
Personne ne veut l’entendre
Impossible de fuir
Une rumeur si parlante
Invisibles sont-ils
Sommes-nous
Nous
Meute de transparents
Sur lesquels fusent des balles
À boulets rouges
Ce n’est pas une rumeur
J’étais là
Me voici
À deux encablures de l’endroit des balles
Pas besoin d’être si près du lieu de la vérité
Pour voir l’empreinte de son éclat sur ma peau.
Tanella Boni
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Né en 1948, Jean Sioui est un poète originaire de Wendake (communauté amérindienne Huron-Wenda). En 1997, son premier livre est un recueil poétique de pensées, Le Pas de l’Indien. Il publie une dizaine d’ouvrages chez différents éditeurs. Tant par son œuvre que par son travail de mentor et de facilitateur auprès de la nouvelle génération d’écrivains, Jean Sioui a contribué de façon remarquable au développement de la littérature autochtone d’expression française au Canada.
l’avenir voit rouge
nous repartons vers nos terres
pas à pas
tachés du sang de nos ancêtres
les pas perdus s’évadent du feu sacré
c’est là que les jeunes reforment le cercle
un bâton de parole à la main
ils croient aux nouveaux chemins
Jean Sioui
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Odile Caradec est une poétesse française. Née à Brest en 1925. Elle a passé son enfance à Camaret dans le Finistère et a côtoyé le poèteSaint-Pol-Roux, Sa poésie est volontiers pleine d'humour, primesautière, concrète, charnelle, fantaisiste. Plusieurs de ses recueils sont parus en Allemagne illustrés par l'artiste française Claudine Goux.
Veilleuse d'Automne
Une musique du silence me permettra peut-être
d'entrer en poésie par cette nuit broussailleuse
d'automne
de capter en sourdine les eaux furtives du poème
Musique, tu es mon écharpe de soie frissonnante
ma fourrure d'étoiles
Les volutes de la nuit me cernent
ce sont phalènes sourdes
Enfermée dans le cercle des lampes
je cherche et ma pensée dilate le silence
soudain je deviens plus grande que la chambre
et je prends mesure du monde
à l'aune de ma petitesse de minuscule bonne femme
à la veilleuse vacillanteOdile Caradec
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Henry Bauchau, né à Malines en 1913 et mort à Louveciennes (France) en 2012, est un poète, dramaturge et romancier belge de langue française, également psychanalyste. Il fut membre de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique.
Meuse pour Valentine
En bord de Meuse il y avait
tout couvert de mémoire
un cerisier qui nous aimait
dans le jardin du père.Son ombre son obscurité
son abondance de lumière
où la rivière s'écoulait
dans un grand bonheur d'existence.Henry Bauchau
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Linda Maria Baros, née en 1981 à Bucarest, est une poétesse, essayiste et traductrice franco-roumaine. Ses recueils écrits en français ont été très remarqués (Le Livre de signes et d’ombres – 2004, La Maison en lames de rasoir – 2006). Elle vit depuis de nombreuses années à Paris. Elle est la lauréate du prestigieux prix Guillaume-Apollinaire 2007 (France). Depuis mai 2013, elle a été élue membre titulaire de l’Académie Mallarmé.
SDF
Les vieux, les grands enfants de la ville rampent à plat ventre,
ils entrent dans leur maison de carton, sur les trottoirs,
et grouillent dans les recoins,
comme s’ils voulaient déjà se faire une place sous
la terre.
Ils se traînent sur une bouche de canalisation embuée
(c’est ainsi qu’ils renforcent leurs liens avec les profondeurs),
comme des poules géantes
qui couvent leurs fleurs, la moisissure.
Les grands, les vieux enfants de la ville rampent à plat ventre
et crachent dans le whitman de la rue
comme dans une soupe.
Le dieu des canalisations les enveloppe
soigneusement dans un nuage, comme des anges.Linda Maria Baros
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Très connu pour être le théoricien principal du surréalisme, André Breton est né en 1896 et décédé en 1966. Il est originaire d’un milieu modeste et fonde en 1919 la revue Littérature avec Louis Aragon et Philippe Soupault. Il a rejoint les idéaux communistes de 1927 à 1935 avant de s’intéresser à la pensée libertaire. Son œuvre poétique est très riche et commence notamment avec Les Champs Magnétiques qu’il écrit en 1920 avec l’aide de Philipe Soupault.
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Andreïevna Gorenko (1889 - 1966) est une des plus importantes poétesses russes du xxe siècle. Égérie du mouvement poétique des acméistes, surnommée la « reine de la Neva » Anna Akhmatova demeure aujourd'hui encore l'une des plus grandes figures de la littérature russe.
La porte est entrouverte.
Les tilleuls frémissent...
Oubliés sur la table :
Une cravache, un gant.
Une lampe fait un cercle de clarté.
Il y a des bruits que j'entends.
Pourquoi es-tu parti ?
Je ne comprends pas.
Demain matin la lumière
Sera pleine de joie.
Cette vie est brêve.
Sois sage, mon coeur.
Tu es à bout de force,
Tu bats plus sourdement.
Tu sais, je l'ai lu quelque part :
Les âmes sont immortelles.
Anna Akhmatova
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François Cheng né en 1929 dans la province du Jiangxi, est un écrivain, poète et calligraphe chinois naturalisé français en 1971, membre de l'Académie française depuis2002. Ses travaux se composent de traductions des poètes français en chinois et des poètes chinois en français, d’essais sur la pensée et l’esthétique chinoises, de monographies consacrées à l’art chinois, de recueils de poésies, de romans et d’un album de ses propres calligraphies.
Tout s’offre encore ici
mais tout n’est que blessure
Les frelons ont enfoncé leurs dards
dans le lys au cœur desséché
le fruit tend encore vers la rondeur
jusqu’au noyau sa chaire s’empoisonne
chien et chat sont menacés de rage
d’une rage née de notre folie
l’agneau même doit être abattu
désormais impropre à l’offrande
rires et ripailles nous tiennent lieu
de rêves, de métamorphoses
la lumière éteinte, sous nos lits
se creuse le gouffre sans fond
où, tel grain mal semé, mal poussé
le souffle se contracte, se rétracte
et trahit tout d’un coup sa promesse
François CHENG
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