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Par imaginelitécrit le 10 Octobre 2020 à 06:33
Frankétienne (1936 - ) est poète, dramaturge, peintre, enseignant, musicien et chanteur haïtien d’expression française. Ses œuvres témoignent de la « conscience nationale » du pays. Auteur du premier roman en créole haïtien, il refuse de quitter Haïti. Il initie le mouvement spiraliste ; forme d’écriture entièrement éclatée où images, calligraphies et poésie typographique se mêlent pour créer une œuvre d’art sur chaque page. Ses mots naissent d’une invention verbale, véritable littérature en transe qui explose les cadres traditionnels de narration.
Je m’envertige
Que pourrais-je écrire que l’on ne sache déjà ?
Que devrais-je dire que l’on n’ait déjà entendu ?
J’écoute ma voix baroque dans le miroir enflé de litanies sauvages.
Batteur battant aux appels de ma ville
rappeur frappeur à l’ivresse de mes tripes
je délire et je tangue au fatras de ma langue à roues cycloneuses.
Je dérape aux zigzags de mes mots à dentelles d’ouragan
mes paysages écrabouillés au tournoiement du vent
coïncidence et connivence
mes affres et mes balafres
mes joies et mes vertiges au tressaillement du masque
mon ombre écartelée d’oubli et d’épouvante.
Mes amours me reviennent amalgame d’utopie et de tendre
violence quand je mange mes silences.
Je m’envertige à contempler ma ville debout
hors des vestiges de l’ombre
entre pierre et poussière
entre l’or invisible et la boue des ténèbres
entre ordures et lumière
je nage inépuisable
je suis de Port-au-Prince
ma ville enfouraillée de nuits intarissables
ma ville schizophonique bavarde infatigable.
…
Frankétienne Frankétienne
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Par imaginelitécrit le 9 Octobre 2020 à 06:41
Louise Elisabeth Glück (1943 - ) est une poétesse américaine. Elle est lauréate du prix Nobel de littérature en 2020. Glück s’est clairement revendiquée des poètes. En 2020, elle enseigne toujours à l'université Yale après avoir participé au Creative Writing Program de l’université de Boston5. Glück a remporté le prix Pulitzer de poésie en 1993.
Au bout de ma douleur
il y avait une porte.
Écoute-moi bien : ce que tu appelles la mort,
je m'en souviens.
En haut, des bruits, le bruissement des branches de pin.
Puis plus rien. Le soleil pâle
vacilla sur la surface sèche.
C'est une chose terrible que de survivre
comme conscience
enterrée dans la terre sombre.
Puis ce fut terminé : ce que tu crains, être
une âme et incapable
de parler prenant brutalement fin, la terre raide
pliant un peu. Et ce que je crus être
des oiseaux sautillant dans les petits arbustes.
Toi qui ne te souviens pas
du passage depuis l'autre monde
je te dis que je pouvais de nouveau parler : tout ce qui
revient de l'oubli revient
pour trouver une voix :
du centre de ma vie surgit
une grande fontaine, ombres
bleu foncé sur eau marine azurée.
Louise Glück
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Par imaginelitécrit le 8 Octobre 2020 à 06:14
Andrée Appercelle naît à Grenoble où elle vit toujours actuellement. Elle a animé les « Murs de Poésie ». Elle a été productrice d’émissions littéraires sur France Culture et FR3. Elle participe à de nombreuses anthologies de poésie française, hongroise, américaine et portugaise, notamment au recueil La Poésie contre le racisme paru en 1983.
Soleil noir ta peau
Aucun souffle
cette immobilité
de pierre épuise
un siècle
me sépare
de ta peau
que je voudrais
minérale
pour fermer
mes doigts
sur elle comme
on chauffe
un caillouAndrée Appercelle
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Par imaginelitécrit le 7 Octobre 2020 à 06:04
Né à Tréguier, en Bretagne, en 1953, Yvon Le Men est un poète dont la seule profession est la poésie, qui remplit toute sa vie : avec l’écriture, dans la solitude ; et la lecture de ses poèmes et de ceux des autres, dans le partage des rencontres, en Bretagne d’abord, puis à travers le monde. Un pari difficile, mais qui fait de lui un poète libre.
Les étoiles accrochent des prénoms aux branches des pommiers
Les vergers défient les plus belles couleurs des grandes peintures.
Nous sommes les créateurs de la glaise.
Les formes cavalent les rêves à la poursuite de la réalité.
Ce moment où je t’ai approchée de travers
À cause de l’ouragan,
Et le cyclone emportait nos paniers à provisions.
Cours vite petit homme aux jambes de géant
Aux paroles d’or qui enrichissent la pauvreté apparente des blouses.
La poésie est l’orfèvrerie des damnés
Et nous sommes les poètes du matin (…)Yvon Le Men
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Par imaginelitécrit le 6 Octobre 2020 à 06:09
Claude Vigée (1921 - 2020) doit fuir la France aux premières heures de la guerre et vit pendant vingt ans en exil aux États-Unis. L'Alsace et Jérusalem, où il s'est établi depuis 1960, sont les deux pôles géographiques et spirituels de son inspiration. Il a notamment publié L'été indien (1957), Le soleil sous la mer (1972), Délivrance du souffle (1977), Les orties noires (1984), La manne et la rosée (1986), Un panier de houblon (1994), Aux portes du labyrinthe : poèmes du passage, 1939-1996 (1996).
Petite musique d’automne
On va chiper des pommes
on va gauler des noix,
par-dessus les rigoles
les chats font de grands sauts ;
raidissant leurs pattes mouillées
les chiens transis marchent sur des échasses,
dans les fossés pleins d’eau hoquettent
de bonheur les derniers crapauds :
l’averse tombe des nuits entières
sur le sol gras du cimetière -
silencieusement il pleut, l’automne,
dans la bouche des jeunes morts...
Claude Vigée
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Par imaginelitécrit le 5 Octobre 2020 à 06:14
Comédienne de métier, Amélie Prévost a découvert la scène slam en 2010. Depuis, elle a créé deux spectacles de monologues (L’histoire de la fille, 2010-2012 et Ma langue dans ton oreille, 2013-2015) . Elle a gagné le Grand Slam de la Ligue québécoise de slam en 2015, pour ensuite devenir championne à la Coupe du monde de slam de poésie en France en 2016.
Je suis passée
Plus vite qu’un vendredi soir
Pour éviter l’averse
Dans les relents d’hier
Je n’avais pas fait de plan
Dans ma tête tempête
De neige et de rage
Dans ma tête d’orage
Demain
N’existait pas nécessairement
Car je ne traverse pas
Toujours l’hiver
Mais tu m’éveilles
Avant la chute
Souvent
À force de soupirs
Et de maintenant
Alors je me jette
Dans les bras du jour
Espérant
Qu’il me mettra au monde
Demain
C’est improbable
Le destin
N’existe pas tout seul
Et je ne projette rien
Que ma voix
Que des mots immédiats
Amélie Prévost
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Par imaginelitécrit le 4 Octobre 2020 à 06:07
Charles Ferdinand Ramuz (1878 - 1947) est un écrivain et poète suisse. Son œuvre comprend des romans, des essais et des poèmes où figurent au premier plan les espoirs et les désirs de l'être humain. Ramuz s'est inspiré dans d'autres formes d'art (notamment la peinture et le cinéma) pour contribuer à la redéfinition du roman.
MACHINE
L’homme est en haut de son siège, porté
magnifiquement au-dessus des choses ;
la ligne qu’il trace avec ses épaules
est dans l’air aussi droite que la cime des blés.
Il va droit devant lui, en avant, en arrière;
sa machine est en fer ;
elle est tirée par deux chevaux
qui sont des chevaux militaires ;
il est assis dessus comme un héros d’Homère.
Sa machine fait un bruit de guerre,
et on entend les sauterelles
qui essaient d’imiter ce bruit avec leurs ailes.
Les ciseaux d’acier grincent ; elles grincent pareilles
avec leur sécheresse à ces ciseaux d’acier ;
c’est quand la terre se fend : — il n’a que sa chemise
et elle est largement ouverte par devant ; —
dureté, sécheresse, c’est quand la terre se fend ;
la tige des épis tinte comme des tringles,
et, dans le ciel de tôle peinte,
le clocher dresse ses lames de fer-blanc.
Charles Ferdinand Ramuz
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Par imaginelitécrit le 3 Octobre 2020 à 06:25
Geneviève Boudreau est née aux Îles-de-la-Madeleine et habite aujourd’hui Québec. Elle est enseignante de littérature. Ses poèmes ont été publiés dans la revue Estuaire, Elle parle souvent de la mer, de la ville et de l’archipel et invite à une lecture intime du monde, poser un regard sur le temps et soi.
Ils n’ont pas su regarder ils ont laissé
Vieillir le temps
Le dernier miracle se balance
À la poutre du garage
C’est toujours la même voix
Perdue la même voix de couteaux qui appelle
La flèche se fiche dans l’œil
Et la pomme tombe au sol
Ils diront
Que la terre est nue que la mer est sel
Que l’air est rare
Ils n’entendent pas
Le bruit sourd de la pierre sur la cible
Le crissement du sang gelé
Sous la botte
Ils appellent cela vivre
Je vais plus vite j’aboie j’apprends comment
Se creuse un passage
Sous la clôture
On laisse bien s’enfuir
Les chiens
Lorsqu’ils se mettent à mordre
Geneviève Boudreau
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Par imaginelitécrit le 2 Octobre 2020 à 06:20
Le parcours du poète et philosophe français Paul Valéry (1871-1945) est particulier. Influencé par Verlaine et Mallarmé, il écrit une centaine de poèmes symbolistes. Un bouleversement passionnel le fait renoncer à la poésie. Après vingt ans de silence, elle le rappelle. En quête d’idéal de poésie pure, il crée un langage dans le langage, une union intime entre parole et esprit, une magie poétique pour des poèmes refusant toute finalité.
La fileuse
Assise, la fileuse au bleu de la croisée
Où le jardin mélodieux se dodeline ;
Le rouet ancien qui ronfle l’a grisée.
Lasse, ayant bu l’azur, de filer la câline
Chevelure, à ses doigts si faibles évasive,
Elle songe, et sa tête petite s’incline.
Un arbuste et l’air pur font une source vive
Qui, suspendue au jour, délicieuse arrose
De ses pertes de fleurs le jardin de l’oisive.
Une tige, où le vent vagabond se repose,
Courbe le salut vain de sa grâce étoilée,
Dédiant magnifique, au vieux rouet, sa rose.
Mais la dormeuse file une laine isolée ;
Mystérieusement l’ombre frêle se tresse
Au fil de ses doigts longs et qui dorment, filée.
Le songe se dévide avec une paresse
Angélique, et sans cesse, au doux fuseau crédule,
La chevelure ondule au gré de la caresse...
Derrière tant de fleurs, l’azur se dissimule,
Fileuse de feuillage et de lumière ceinte :
Tout le ciel vert se meurt. Le dernier arbre brûle.
Ta sœur, la grande rose où sourit une sainte,
Parfume ton front vague au vent de son haleine
Innocente, et tu crois languir... Tu es éteinte
Au bleu de la croisée où tu filais la laine.
Valéry, Paul
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Par imaginelitécrit le 1 Octobre 2020 à 17:15
La romancière et poète québécoise Rachel Leclerc est la dernière d’une famille de sept enfants. Sa région natale, la Gaspésie, a formé son paysage intérieur et lui a inspiré plusieurs livres. Elle est également critique de poésie.
Et je ne sais plus le temps qu’il fait
ni de quelle saison nous tirons ces jours,
je crois qu’il fait de grands escaliers de bois
descendant à la mer ou bien remontant
vers la tiédeur de la prochaine avoine
ou vers une grange aveugle un après-midi de soif.
Je ne sais plus si c’est l’horizon ou l’effroi
ou simplement vos bras qui s’éloignent à mesure.
Un à un, les ciels s’ouvrent comme des berceaux
une à une les crispations de l’histoire
sont acquises à la glaise.
Je ne sais pas non plus de quel vertige
sera faite la prochaine colline
ni de quel étouffement viendra le prochain orage
ou la prochaine solitude.
Rachel Leclerc
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