• Pierre Corneille , StancesPierre Corneille (1606-1684) est un dramaturge et un poète français. Premier à comprendre que le drame est souvent intérieur, ses personnages tragiques et héroïques sont confrontés à des crises morales où le devoir s’oppose à la passion et où la volonté personnelle repousse ses limites pour survivre. Ses œuvres, puisant dans l’histoire ou dans les légendes, questionnent les valeurs de l’époque, ainsi que les règles de l'écriture classique. Chez l’auteur du “Cid,” pour qui éloquence et poésie sont indiscernables, la poésie héroïque s’oppose au lyrisme de la tendresse, et atteint le sublime ; idéal suprême au XVIIe siècle.

     

    Marquise, si mon visage

    A quelques traits un peu vieux,

    Souvenez-vous qu’à mon âge

    Vous ne vaudrez guère mieux.

    Le temps aux plus belles choses

    Se plaît à faire un affront,

    Et saura faner vos roses

    Comme il a ridé mon front.

    Le même cours des planètes

    Règle nos jours et nos nuits :

    On m’a vu ce que vous êtes

    Vous serez ce que je suis.

    Cependant j’ai quelques charmes

    Qui sont assez éclatants

    Pour n’avoir pas trop d’alarmes

    De ces ravages du temps.

    Vous en avez qu’on adore ;

    Mais ceux que vous méprisez

    Pourraient bien durer encore

    Quand ceux-là seront usés.

    Ils pourront sauver la gloire

    Des yeux qui me semblent doux,

    Et dans mille ans faire croire

    Ce qu’il me plaira de vous.

    Chez cette race nouvelle,

    Où j’aurai quelque crédit,

    Vous ne passerez pour belle

    Qu’autant que je l’aurai dit.

    Pensez-y, belle Marquise.

    Quoiqu’un grison fasse effroi,

    Il vaut bien qu’on le courtise,

    Quand il est fait comme moi.

     

    Pierre Corneille


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  • Nadine Ltaif

    Née au Liban en 1961, Nadine Ltaif a passé les treize premières années de sa vie dans son pays natal avant d’immigrer au Québec avec sa famille et de s’établir à Montréal en 1980. Dès son premier recueil de poèmes, Les métamorphoses d’Ishtar, paru en 1987, elle a été remarquée par sa manière de traiter l’expérience de la migration et de l’exil en puisant dans les mythologies de sa région d’origine, le Moyen-Orient, tout en se mesurant aux réalités de son pays et de sa ville d’accueil. Inspirée aussi bien par la poésie japonaise que par le grand poète libanais Adonis, l’œuvre de Nadine Ltaif est aussi ancrée dans le féminisme.

     

    Aujourd’hui j’ai vu

    comment meurt une ville

    et j’ai été abandonnée

    et je suis partie

    et de rien

    et je reviens d’un long voyage

    mais par où commencer

    par où

    je commence par la mort

    car on ne peut commencer que par la mort

    de ce récit qui prend la forme de la misère

    je vous conte une histoire

    concernant des oiseaux

    une histoire un conte une odyssée

    l’odyssée du Phénix madame

    ou comment aime le Phénix

    avec ses flammes avec ses feux

    lorsqu’il n’y a plus de dialogue possible

    et que plus rien n’exprime l’amour

    que le désir

    lorsqu’il se jette et lorsqu’il flambe

    je vous conte ce qu’ont vu mes yeux

    des murex

    et de la pourpre

    et une terre libanaise qui aime brûle aime

    et embrase la mer.

     

    À peine suis-je née que je n’existe

    déjà plus

    car la guerre empêche la vie de naître

    empêche les fleurs de mûrir

    empêche le soleil

    et rompt le rythme des choses

    comment trouver un rythme

    un rythme autre que celui des lamentations

     

    Qu’Allah vous éloigne du fils d’Adam

    s’écrie ma nourrice

    de cet homme de la guerre

    que Dieu vous épargne

    ce qu’ont vu mes yeux

    ces yeux-là qui ne se referment plus

    depuis 1975

    année de mon premier exil.

     

     

    Nadine Ltaif


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  •  Mohammed Dib

    Mohammed Dib (1920‐2003) est un poète et auteur algérien. Il est membre de la « génération ‘52’ » avec Albert Camus. Son œuvre traite de la décolonisation algérienne, de sa bataille d’indépendance et des périodes qui s’ensuivent. Quête d’identité et recherche d’un moi authentique sont des thèmes importants pour Dib dont la voix poétique s’élève à la recherche de la dignité humaine. Une imagerie surréaliste et futuriste, des mots océaniques et souterrains peuplent ses œuvres.

     

    Contre-Jour

     

    Les oiseaux apparaissent,

    S’allume une flamme

    Et c’est la femme ;

     

    Sans nom ni liens ni voile,

    Errant les yeux clos,

    La femme couverte de la fraîcheur de la mer.

     

    Mais brusquement les oiseaux réapparaissent

    Et s’allonge cette flamme

    Plus qu’entr’aperçue au fond de la chambre.

     

    Et c’est la mer,

    La mer aux bras endormants portant le soleil,

    Ni orient ni nord, ni obstacle ni barre, la mer ;

     

    Rien que la mer ténébreuse et douce

    Tombée des étoiles, témoin des mutilations du ciel,

    Solitude, pressentiments, chuchotis,

     

    Rien que la mer,

    Les yeux éteints,

    Sans vague ni vent ni voile.

     

    Brusquement les oiseaux réapparaissent ;

    Et c’est la femme,

    Ni étoile ni rêve, ni geyser ni roue, la femme.

     

    Les oiseaux reviennent ;

    Et rien que la mer.

     

     

    Dib, Mohammed


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  • Nedjmhartine Vincent

    Nedjmhartine Vincent est une poète haïtienne. Elle est étudiante en psychologie à la Faculté des sciences humaines de l'Université d'État d'Haïti. Son premier texte « Jovanie » paraît chez Mémoire d'encrier en 2013 dans une publication collective intitulée Bonjour voisine qui réunit des écrivains haïtiens et canadiens. Son premier roman, Territoires interdits est publié en 2014 aux éditions Henri Deschamps.

     

    Confession

     

    Les lambeaux de notre amour mitigé

    Accrochés aux poutres de mes souvenirs

    Imprimés en moi éternellement.

    Ce savant mélange, ce savant désordre

    Cette passion étonnée, détonnée

    Cet étrange amalgame de souvenirs

    Ce synchronisme parfait, cet élan

    Ce lien spirituel, primitif, basique

    Donnent à ma vie du relief.

    Vie sacralisée, saturée, colorée.

    Oui, je t’aime. Oh ! Que je t’aime !

    Les fibres de mon corps, tendues

    Vers un seul être, une seule âme.

    Mon grand amour, mon tout amour.

    Pourtant, je te confesse :

    L’obésité de mon amour pour toi.

    Me bloque la respiration. Asphyxie.

    Criw, craw, criw, craw !

    Gorge raclée, souffle court !

    Cet amour cataclysme m’anéantira

    Cet amour volcan me consumera.

    Si je dois t’aimer, je ne dois exister.

    Je ne puis me résoudre à disparaître.

    Je t’aimerai de loin, plus fort encore

    Sentiments que le souvenir magnifiera

    Je souffre d’amour, je meurs d’amour

    Mais je revivrai d’amour. À tout jamais.

     

    Nedjmhartine Vincent


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  • Rodney Saint-ÉloiRodney Saint-Éloi (né en 1963) est un poète, écrivain, essayiste et éditeur né en Haïti. Il est l’auteur d’une dizaine de livres de poésie et a traduit une dizaine d’ouvrages du français au créole. Il découvre des écrivains de différentes origines (amérindienne, québécoise, haïtienne, sénégalaise, antillaise, etc.) dans une démarche « d’altérités porteuses d’avenirs et de solidarités ».
     

     

    Grand-mère Tida avait une tombe

    Grand-mère Tida avait une maison

    elle préférait la tombe à la maison

    elle nourrissait la tombe de fleurs-soleils

    elle s’arrangeait pour que la maison marche vers la tombe

    la tombe était alors un jardin de lumières

     

    Grand-mère Tida avait un cercueil

    Grand-mère Tida avait un lit

    elle préférait le cercueil au lit

    elle parfumait tous les soirs le cercueil d’encens

    elle s’arrangeait pour que le lit soit au-dessous du cercueil

    le cercueil pouvait alors parler aux étoiles

     

    Grand-mère Tida avait une robe blanche

    Grand-mère Tida aimait sa robe blanche

    c’était une robe de noces à volants

    Grand-mère Tida ne l’avait jamais portée cette robe

    Grand-mère Tida attendait seule la mort

    elle chantait en lorgnant des yeux sa robe :

     

    quand la paix règnera au ciel

    nous y serons

     

     

    Rodney Saint-Éloi


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  • André DhôtelAndré Dhôtel (1900 - 1991) est un écrivain français, à la fois romancier, conteur et poète, ainsi qu'un scénariste. Connu du grand public par le roman « Le Pays où l'on n'arrive jamais, » prix Femina 1955, il est l'auteur d'une œuvre abondante et singulière, où s'exprime un merveilleux proche du quotidien, dans lequel le rapport à la nature joue un grand rôle.

     

     

     

    Créatures


    Moi j'aime les vaches
    parce qu'elles sont subtiles.
    Moi j'aime les papillons
    parce qu'ils sont bêtes.

    Les papillons adorent les lampes
    les fleurettes et les fumiers.
    Ils touchent de leurs antennes
    les étoiles les plus lointaines
    par simple distraction.

    Ils cherchent en dansant
    à imiter les beaux voiliers
    sanglants ou bleus
    des mers intelligentes.

    Au long des fils les vaches
    écoutent les dépêches,
    elles étudient le va-et-vient
    des hommes sur la route
    et ne concluent jamais.

    Pleines de bonté pour les mouches
    elles remâchent le gazon
    pour mieux connaître l'infini
    et regardent passer dans le ciel
    les cow-boys qu'elles ont tués.

    André Dhôtel


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  • Amina Saïd

    L’écrivaine tunisienne d’expression française Amina Saïd (1953 - ) habite à Paris depuis 1979. Sa poésie s’imprègne de ses cultures, de ses voyages et son langage reste simple, échappant à toute classification. Souvent, l’oxymore révèle des juxtapositions étranges qui sont néanmoins logiques dans son langage poétique. Elle a délibérément choisi le français en tant que véhicule créatif mais elle chante une poésie ressourcée dans la langue arabe.

     

    soleil à son lever

     

    chaque jour tu rattrapais la lune

    qui fuyait

     

    chaque jour tu approchais de mon silence

    pour y mêler le tien

     

    je me voyais poser la main sur une ombre

    moi-même j’étais une ombre

    sans paupières

     

    nous étions notre propre désert

    pierre au vif des sables

    et source dans l’amour du monde

     

    nous étions l’oiseau blanc

    qui porte le nuage entre ses ailes

    nous étions le vol et l’oiseau

    fendant le ciel du regard

    quand s’abolit la distance

    et que renaît le feu

     

    soleil à son lever

    chaque jour tu rattrapais la lune

    qui fuyait

     

    nous étions la lune et le soleil

    et la couleur qui soutient le ciel

    et son commencement

     

    nous étions lumière et ténèbres

    nous étions la roue

    qui assemble le jour et la nuit

     

    nous étions l’homme la femme

    et l’enfant que je voyais en toi

     

    chaque jour tu approchais de mon silence

    pour y mêler le tien

     

    nous étions la totalité

    des voyelles et des consonnes

    que scellaient nos bouches de chair

     

    nous étions le feu vif et la cendre

    et nos propres décombres

     

    nous étions tout ce qui n’eut pas lieu

    et qui dure

     

     

    Amina Saïd 


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