-
Par imaginelitécrit le 27 Février 2021 à 06:01
Philippe Jaccottet, né Moudon en Suisse est un écrivain, poète, critique littéraire et traducteur suisse vaudois, lauréat de nombreux prix dont le Goncourt de la poésie. Il est mort ce 24 février 2021 à l'âge de 95 ans. C’est l'un des poètes contemporains les plus lus et traduits au monde.
La nuit est une grande cité endormie
où le vent souffle… Il est venu de loin jusqu'à
l'asile de ce lit. C'est la minuit de juin.
Tu dors, on m'a mené sur ces bords infinis,
le vent secoue le noisetier. Vient cet appel
qui se rapproche et se retire, on jurerait
une lueur fuyant à travers bois, ou bien
les ombres qui tournoient, dit-on, dans les enfers.
(Cet appel dans la nuit d'été, combien de choses
j'en pourrais dire, et de tes yeux…) Mais ce n'est que
l'oiseau nommé l’effraie qui nous appelle au fond
de ces bois de banlieue. Et déjà notre odeur
est celle de la pourriture au petit jour,
déjà sous notre peau si chaude perce l’os,
tandis que sombrent les étoiles au coin des rues.
Philippe JaccottetQuelques citations de Jaccottet :
"La certitude est la chose au monde qui m’est la plus étrangère"
« Je n'ai fait que passer, accueillir. J'ai vu ces choses, qui, elles-mêmes, plus vite ou au contraire plus lentement qu'une vie d'homme, passent. »
"Ne pas donner toute sa place au malheur"
votre commentaire -
Par imaginelitécrit le 26 Février 2021 à 06:56
Alina Reyes, née en 1956 est une écrivaine française. Renommée pour écrire avec “ses tripes”, l’écriture d’Alina Reyes est sauvage. Même si le succès de son premier livre (le boucher) lui colle une étiquette, l’écrivain signe pourtant d’autres ouvrages, plus profonds.
Politique de l’amour
L’amour est blanc parce qu’il est la somme de toutes les couleurs, parce qu’il est la gomme qui m’efface, m’épelle et fait valser l’alphabet de mon identité, parce qu’il est le trou au travers de mon corps, le cerceau par où le jour entre et sort, bondit et se propage en rugissant dans ma chair nue.
Alina Reyes
votre commentaire -
Par imaginelitécrit le 25 Février 2021 à 06:42
Né en 1967 dans Les Charentes, David Dumortier vit à Paris. A vécu un an à Damas (Syrie). Il a publié dans plusieurs revues, notamment Décharge, Digraphe, Rétro-viseur…ainsi que trois recueils aux éditions Cheyne et un ensemble récit/poèmes aux éditions Paris-Mediterranée. Il intervient régulièrement en milieu scolaire.
LES COMPTINES DE NINA NANERE
Papa a la barbe qui pique
Comme en Afrique les porcs-épics
Moi
Je veux une barbe à papa
Rose et lisse qui ne pique pasUn coq pleure
Il pleure un coq
D’un si gros pleur
Que ses trois sœurs
De lui se moquent
Toc ! toc ! toc
De ses yeux tombent
Des œufs
A la coqueLes parents de Nina
Voulaient l’appeler Hirondelle
Le préfet a dit non
Sinon les autres riront d’elleNina n’a ni la tête en l’air
Ni les pieds sur terre
Ni le nez contre les vitrines
Ni un nénuphar aux narines
Elle est ni ça ni ça
Elle est Nina
Et na !David Dumortier
votre commentaire -
Par imaginelitécrit le 23 Février 2021 à 06:41
Alexis Leger, dit Saint-John Perse (1887, Pointe-à-Pitre-1975, Hyères), est un poète, écrivain et diplomate français, lauréat du prix Nobel de littérature en 1960. En marge des mouvements littéraires de son époque, sa poésie, en versets, est réputée pour son hermétisme, mais aussi pour sa force d’évocation.
C'était de très grands vents sur toutes faces de ce monde,
De très grands vents en liesse par le monde, qui n'avaient ni d'aire ni de gîte,
Qui n'avaient garde ni mesure, et nous laissaient, hommes de paille,
En l'an de paille sur leur erre... Ah ! oui, des très grands vents sur toutes faces de vivants !
Saint-John Perse
votre commentaire -
Par imaginelitécrit le 22 Février 2021 à 06:06
Clod'aria est le nom de plume de Suzanne Humbert-Droz, née en 1916 à Paris et morte en 2015 à Fontenay-le-Comte. Elle a vécu sa vie à L'Orbrie, en Vendée. Elle a été institutrice et a publié une trentaine de recueils de poésie ainsi que plusieurs récits en prose. Son style, d'une grande concision, est particulièrement efficace dans ses ouvrages poétiques où elle propose un regard lucide et ironique sur la vie et sur les humains.
Les chats perdus
J’ai soigné les chats des autres
les galeux les croûteux
les sans maître ceux qui griffent
ceux qui chient mou
ceux qu’on pu d’poil
sur le caillou
ceux qu’on menace
et qu’on poursuit
à coup de balai
ou de fusil
ceux qui se roulent
ceux qui vous lèchent
ceux qui ne disent jamais rien
et ceux qu’ont peur de votre main
Les minettes qui vous ramènent
cinq rejetons cachés dans le foin
les vieux matous
qui se souviennent
quand ils sont borgnes et boiteux…
J’les ai soignés
malgré les miens
les bien nantis
les bien soyeux
qui suffoquaient de jalousie
en fermant à demi les yeuxClod'aria
votre commentaire -
Par imaginelitécrit le 21 Février 2021 à 06:57
Jacques Chessex (1934 - 2009) est poète et peintre suisse. Seul écrivain suisse à recevoir à la fois le Prix Goncourt et le Prix Goncourt de la poésie, il est un artiste souvent controversé dans son pays natal. Chessex aborde la description de la Suisse d’un œil critique et sans pitié.
Tu dors tête claire
Le vent parle dans la toison brouillée
D’un arbre au front d’argent qui brille,
Un tilleul jeune au seuil de l’ombre
Comme une fille bouclée.
La vie a le goût de pomme et de miel.
Ô rivière multipliée
Dans la clarté d’une bouche aimée
Mieux que l’aurore et le ciel.
Tu dors tête claire,
Ton rêve est la fraîche rivière entre les feuilles,
Ô miroir matinal, buée verte,
Tu viens sous le lierre et le vent
Comme une maison douce pour vivre ...
Sans chemin, sans retour la porte s’ouvre,
C’est un mur clair qui se donne,
Une eau s’endort avec le miel de la lumière,
Les chambres sont des forêts ensoleillées
Et les vitres des brumes blanches.
Le matin penche comme une fougère,
J’écoute au loin les cascades tomber.
Ton souvenir est une voix légère,
L’air se partage avec l’éternité.
Je suis un cerf debout sous les feuillages,
Ta bouche a fraîchi douce entre mes lèvres,
L’appel du vent caresse ton visage,
Tu trembles comme une branche dans son rêve.
Ô sommeil, toile immobile dans ma tête !
Je marche près des haies blanches, je salue l’ombre,
L’ange léger s’envole avec le vent,
Les rochers brillent dans l’air comme des voiles.
[…]
Jacques Chessex
votre commentaire -
Par imaginelitécrit le 20 Février 2021 à 06:47
Isabelle Dumais est écrivaine et artiste en arts visuels. Elle s’intéresse particulièrement à la peinture abstraite, à la poésie, à l’essai littéraire et à la philosophie. Elle aime les expressions dépouillées, mais chargées d’affect. Elle vit au Québec.
Il y a des agencements anatomiques
qui prédisposent à la lenteur
une aptitude à l’asthénie inscrite partout.
Je suis née essoufflée.
Rubis de défaillances
ornement de faiblesses
je suis offerte à la fatigue.
Roue de fortune maladie commune tentative
de mise en déroute aux injonctions opaques :
des pneumonies en grappes de pics
deux sacs percés qui se déplient sur des clous.
Je retiens mon souffle
jusqu’au prochain.
Une enfance profusément myope
en acompte de fatigue
pour tout ce qu’il y aura à voir
à présent cataractes rideaux
voiles de glacis non pas sur mes tableaux
mais dans mes yeux directement.
Ce que j’ai vu j’efface.
J’éteins.
Isabelle Dumais
votre commentaire -
Par imaginelitécrit le 18 Février 2021 à 06:00
Bertolt Brecht (1898 - 1956) est un dramaturge, metteur en scène, écrivain et poète allemand. Il acquiert une renommée internationale avec L'Opéra de quat'sous créé en 1928. Vivant en exil en Scandinavie, puis aux Etats-Unis pendant la périod nazie, il est inquiété au moment du maccarthysme. Il s'installe en 1949 à Berlin-Est, en République démocratique allemande. Son nom est lié au théâtre épique.
Nos défaites ne prouvent rien
Quand ceux qui luttent contre l’injustice
Montrent leurs visages meurtris
Grande est l’impatience de ceux
Qui vivent en sécurité.De quoi vous plaignez-vous ? demandent-ils
Vous avez lutté contre l’injustice !
C’est elle qui a eu le dessus,
Alors taisez-vousQui lutte doit savoir perdre !
Qui cherche querelle s’expose au danger !
Qui professe la violence
N’a pas le droit d’accuser la violence !Ah ! Mes amis
Vous qui êtes à l’abri
Pourquoi cette hostilité ? Sommes-nous
Vos ennemis, nous qui sommes les ennemis de l’injustice ?Quand ceux qui luttent contre l’injustice sont vaincus
L’injustice passera-t-elle pour justice ?
Nos défaites, voyez-vous,
Ne prouvent rien, sinon
Que nous sommes trop peu nombreux
À lutter contre l’infamie,
Et nous attendons de ceux qui regardent
Qu’ils éprouvent au moins quelque honte.Bertold Brecht
votre commentaire -
Par imaginelitécrit le 17 Février 2021 à 06:14
Il faut être toujours ivre. Tout est là : c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous. Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront : « il est l'heure de s'enivrer ! Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. »
Charles Baudelaire
votre commentaire -
Par imaginelitécrit le 16 Février 2021 à 06:47
Véronique Grenier est autrice et blogueuse. Elle enseigne la philosophie. Elle est l’autrice, aux Éditions de Ta Mère, des recueils de poésie Hiroshimoi, Chenous et du récit Carnet de parc. Elle a publié un recueil de poésie pour enfants aux Éditions de la Courte échelle.
En fait,
je voudrais habiter sur une ligne
entre mon père et ma mère,
une maison mince avec juste ma chambre
et des provisions,
surtout des biscuits,
même pas cachés en dessous de mon lit,
avec deux portes
une en face de l’autre.
Je pourrais manger mes céréales chez un,
avaler une toast chez l’autre,
recevoir des câlins des deux
avant ma journée.
Je ne serais pas constamment en train de manquer
quelque chose,
d’avoir la sensation que le trou dans ma poitrine,
celui dans lequel mes peurs gravitent,
gagne en profondeur.
Véronique Grenier
votre commentaire
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique